Comment est né Djé Balèti ?
Jérémy (chant et espina) : Djé Balèti est né en 2010. L'idée première était de faire un projet musical convivial et inter-générationnel. La première chose que j'ai faite, c'était de programmer le groupe une fois par mois le dimanche après-midi dans la salle toulousaine de la Dynamo. A l'époque, Djé Balèti était un duo où j'étais avec un percussionniste. On souhaitait faire une musique qui s'adresse au corps. Faire sortir les gens de leur position de spectateur était l'objectif premier des concerts. Nous sommes assez spectateurs dans nos vies pour pouvoir lâcher prise de temps en temps. Il faut aussi être acteur ! Le bal s'adressait au maximum de gens, il y avait un public très hétéroclite, du punk qui finissait sa soirée, à l'ariégeois qui venait pour danser trad, en passant par le spectateur lambda. Il y avait de tout, c'était très sympa.
Il y avait des thématiques sur les après-midi bal ?
A chaque fois, j'invitais un groupe de la scène occitane. On peut citer Du Bartàs, Polifonic System, La Mal Coiffée, Rita Macedo, Ange B, Fabulous Trobadors... qui sont venus jouer avec nous. Sans oublier la première partie qui était un groupe trad.
C'était la récréation du dimanche ?
Il m'a toujours manqué ce truc de village où tu sais que tu vas aller à cet endroit-là et tu vas trouver tous tes potes. On boit tous un coup ensemble, on fait la fête et ensuite chacun retourne dans sa vie. Je voulais créer un moment comme ça!
Une sorte d’exutoire...
C'est ça ! Un moment de convivialité où on peut partager sur beaucoup de choses, comme la politique. Mais surtout apporter de la joie. C'est la chose centrale des après-midis que l'on a pu passer à la Dynamo.
Qu'est ce que ça signifie Djé Balèti ?
Djé c'est le diminutif de nom, qui est Jérémy, et Balèti c'est le bal.
Les titres de Pantaï sont chantés en quelle langue ?
En occitan ! C'est une grande confusion en fait. Avec la grande région Occitanie, les gens pensent que c'est qu'ici l'Occitanie. Alors que pas du tout. L'occitan c'est la langue de tout le Sud de la France. Ça va de l'Italie, sept régions parlent occitan en Italie, jusque Bordeaux. Et aussi de la Loire au Val d'Aran. Toute cette région-là parle occitan avec des variantes locales sur des manières de prononcer ou du vocabulaire différent.
C'est avec quel occitan que tu t'exprimes dans tes titres ?
La langue de Nice, le nissart. J'ai grandit à Nice et toute l'inspiration de Djé Balèti elle est vraiment très branchée sur Nice. On a une image de Nice dégueulasse. L'image qu'on me renvoie en général, c'est que c'est une ville de vieux fachos riches. C'est vrai qu'il y en a, mais il n'y a pas que ça du tout. Nice a une extraordinaire culture, notamment carnavalesque. Mais je ne peux pas te résumer 2500 ans d'Histoire en deux minutes. C'est une grande ville qui a des personnages mythologiques qui m'intéressent beaucoup.
Tu joues aussi d'un instrument particulier sur scène, l'espina, comment t'est venue l'idée de jouer de cet instrument ?
C'est un long chemin ! J'ai commencé avec le rock seventies. Mes parents étaient hippies et écoutaient Bob Dylan, Pink Floyd et Led Zeppelin. Ça a toujours été ma musique et pour mes premiers groupes je chantais en anglais. Jusqu'à ce qu'à dix-huit ans, durant un concert à Paris, je me suis posé la question de ce que je foutais à chanter dans une langue qui n'était pas la mienne. Alors j'ai commencé à découvrir la chanson française. J'y ai découvert des choses extraordinaires mais aussi qu'on y parlait que de Paris et pas de la Méditerranée ou alors de façon très kitsch. Pourquoi est-ce que je n'avais pas l'équivalent du blues étatsunien ou du rebetico grec ? Soit une musique forte pour toucher le monde entier ?
Ça m'a pris une dizaine voir une quinzaine d'années pour faire le tour de la question. Ma famille est éparpillée aux quatre coins du monde alors j'ai pu chercher dans différents pays où étaient mes racines. Mon grand-père était cubain, mon père est né au Vénézuela et ma mère est née en Tunisie de parents Siciliens. Au final, j'ai découvert qu'à Nice il y avait une langue extraordinaire qui comptait mille ans de littérature ! J'étais axé sur l'exotisme alors que c'était là sous mes yeux. J'ai pu découvrir un livre baptisé Le Carnaval de Nice et ses Fous d'Annie Sidro qui raconte l'histoire du Carnaval Niçois d'antan. Pas l'actuel où seuls les riches peuvent assister au défilé. Dans ce livre, il y a des tas d'histoires fascinantes mais une gravure a retenu mon attention, celle d'un orchestre de vespe (guêpe en nissart) qui jouent d'instruments construits dans des calebasses appelées "cougourdon". Dans ses instruments, une guitare à quatre cordes. J'ai alors contacté Jérôme Désigaud, un luthier, pour qu'il me fabrique cet espina. J'avais alors trouvé l'instrument qui me permettrait de m'exprimer de manière personnelle. Ce n'était plus la guitare électrique qui fait référence aux Etats-Unis, ni le salz dont je jouais qui est originaire de Turquie mais c'est un instrument vierge avec lequel je pouvais créer quelque chose... Et là ça a été le bonheur
Du coup l'espina, peu de gens en jouent
Personne n'en joue ! J'ai trouvé l'instrument sur un bouquin et je l'ai fait faire spécialement refabriquer par un luthier. Maintenant, il y a quelques potes qui en ont acheté et qui en jouent. Par exemple un des musiciens de Moussu T joue de l'espina ou Louis Pastorelli, un musicien niçois qui a fait le groupe Nux Vomica. Après on est trois musiciens professionnels à jouer ça et quelques potes qui jouent chez eux.
Ça donne une couleur de kora africaine...
La culture coloniale français nous a isolé de l'Afrique. Il fallait effacer les traces de ce continent. Par exemple, les tirailleurs sénégalais qui ont participé aux deux Guerres Mondiales n'existaient pas. A l'issue de la Seconde guerre mondiale, on a fait croire aux français que tout le monde était résistant et que l'Afrique n'existait pas alors qu'elle est là depuis toujours. Avec la mer nous sommes frontaliers de ce continent et avec la colonisation on a une histoire commune entre la France et l'Afrique. Un travail a été fait pour effacer tout ça. Comme si en Métropole, on ne tapait pas sur des tambours ou qu'on n'avait pas d'instruments "roots". L'espina fait parti de ces instruments oubliés qui peuvent rappeler l'Afrique en effet.
Tu nous parlais de ta famille qui a beaucoup voyagé, mais ta musique aussi est un vrai patchwork d'influences du monde...
Je n'ai pas vraiment le choix ! On parlait de la naissance de Djé Balèti tout à l'heure mais le groupe a évolué depuis ses débuts. Maintenant le groupe est très rock 'n' roll, une sorte d'afro psychédélique. Il y a des musiques populaires en Occitanie et aussi à Nice, c'est très répertorié mais il manque beaucoup de choses dans ce répertoire. C'est comme un château en ruines dans lequel il ne reste qu'une pièce, tu dois imaginer les autres pièces aux alentours si tu veux reconstruire ce château. Avec cette part de vide, la possibilité de création est énorme. J'ai comblé tout ça avec mes influences. Le soucis des musiques trads, c'est qu'elles doivent être figées pour être conservées. Il faut un conservatoire, c'est vital. Mais c'est comme un arbre, tu vois. Il faut les racines. Si tu coupes les racines, l'arbre meurt, mais si tu coupes ses branches, l'arbre meurt aussi. Les racines sont la conservation, savoir comment on jouait il y a cent ans c'est très important, mais si on ne tente pas un métissage, on jouera dans cent ans comme il y a cent ans !
La souffrance de la musique occitane c'est qu'elle a été omise pendant des décennies et elle n'a pas pu se métisser. Après la première guerre mondiale, ça a été mis à la poubelle pour diverses raisons. Il faut attendre les années soixante pour que des mecs s'y intéressent et qui vont piocher dans le répertoire d'avant guerre de 14.
Le métissage avec la pop ou le rock des années 60 s'est très peu fait. Dans certains endroits il y a eu un métissage fabuleux avec les Massilia Sound System à Marseille dans les années 90. Mais dans d'autres endroits, il n'y a eu aucun métissage. Moi je m'inspire de ce que j'écoute. Beaucoup de musiques du monde via ma famille, et beaucoup de rock anglo-saxon. C'est un truc qui me correspond.
Qu'est ce que signifie Pantaï le nom de votre album ?
Pantaï c'est un rêve. Mais ce n'est pas qu'un rêve en français. C'est aussi une manière de le mettre en action dans la vie par des choses bricolées ou des délires. C'est renverser le monde en une déconnade, le Pantaï. Mais aussi une manière de voir le monde d'une manière hyper profonde et philosophique. C'est très déconnant mais ça amène aussi sur la table des sujets sérieux.
C'est un peu le carnaval idéal cet album ?
Je n'irais pas jusque là ! Un carnaval c'est lié à un endroit. Chaque lieu a son carnaval et je dirais même que l'endroit vit son carnaval. Un carnaval c'est quasiment dans le sol, ça sort tout seul comme une plante. Pantaï c'est une tentative de portraits des personnages principaux du Carnaval Nissart avec Catarina Segurana, les Ratapignatas et les Boufettes.
Les textes sont aussi teintés de spiritualité. Si on lit les paroles, on retrouve des références à la religion, à l'invocation ou à la mythologie...
Oui tout à fait. Je pense qu'on a une mission, c'est de se réapproprier la spiritualité. La sortir du carcan des religions qui ne font pratiquement que monter les gens les uns contre les autres. Même s'il y a des gens qui font des choses très belles avec ça. Ce qui fait qu'on arrive à les accepter, mais c'est quand même une machine à monter les gens les uns contre les autres.
Moi je suis profondément anti clérical, ça ne m'intéresse pas. Que les gens aient la foi, je n'ai rien à dire contre ça. Chacun fait comme il le sent. Moi ce qui m'intéresse, c'est la spiritualité qu'il y a dans le Carnaval : c'est un rapport à l'autre monde, la mort, à quelque chose qui est présent, tout le monde, et on s'en rend pas compte. C'est la vie. Il y a une mythologie qui me passionne autour de tout ça. Dominique Pauvert a fait un livre fabuleux à ce sujet, La Religion Carnavalesque, qui parle de tout ça. De cette religion chrétienne voire même préhistorique qui inspire ce Carnaval et qui est un peu partout. Il y a des choses qui nous ramène à tout ça en permanence. C'est un rapport à la nature, des symboles, un rapport à l'autre monde mais qui n'est pas l'enfer et le paradis mais quelque chose de différent.
Tu puises aussi ton inspiration dans les livres ?
Le livre de Dominique Pauvert m'inspire énormément. On travaille ensemble en ce moment d'ailleurs. Sur un projet qui veut faire sortir les personnages du panthéon du Carnaval. Il explique dans son livre qu'il y a des similitudes entre toutes les civilisations de l'hémisphère Nord. A un moment il rencontre un shaman de Sibérie, il travaille en mythologie comparée. Il lui montre un pailhasse, qui est un personnage de carnaval qui est partout en Occitanie. Le shaman de Sibérie lui dit "mais c'est un shaman de mon village ça". Ça l'a fait halluciner de voir qu'il y avait autant de similitudes. Des similitudes comme ça, il y en a constamment. C'est intéressant de voir qu'il y a un fond commun de rapport à la nature. Le pailhasse c'est un personnage qui passe systématiquement de la vie à la mort. On va toujours chercher la spiritualité en Inde ou en Amérique du Sud mais il y a une spiritualité immense ici. Elle est diluée sous beaucoup de couches. Mais l'avantage avec la religion catholique, c'est qu'elle a juste mis un vernis sur cette religion païenne. Ils ont mis des noms de saints sur des divinités qui étaient là depuis la nuit des temps. Pour retrouver, c'est pas si compliqué. Et c'est le travail de Dominique, il cherche la divinité ancienne sous le nom catholique.
Est-ce qu'à travers la musique de Djé Balèti, qui est répétitive, il n'y a pas une volonté de créer la transe ?
Tout à fait ! L'idée c'est de sortir de son état normal. Après je n'ai pas la prétention ni la capacité de savoir le faire. C'est une approche, une recherche. Mais l'idée de Djé Balèti c'est de sortir du mental et descendre dans le corps. Prendre cette énergie et la partager.
Dernière question, est-ce que tu as un scoop pour moi ?
Djé Balèti sort son album Pantaï en cd et en vynile le 16 octobre. Après c'est pas un scoop, on fait de la promo là dessus. Vu qu'on ne se voit pas beaucoup en ce moment avec les gars, j'ai envie de te dire qu'on a pas réellement matière à te proposer un scoop. Mais je pense qu'on va se faire une grosse virée dans les bars Toulousains le 16 octobre, si on a le droit de fêter ça ! Mais le vrai scoop, c'est que l'on a bossé avec une réalisatrice qui nous a fait trois tableaux animés avec des personnages réels, et nous on sera dans le clip pour une fois.