Pourquoi ce nom d'Al-Qasar ?
Thomas Attar Bellier (leader et producteur) : Le nom fait référence aux palais construits par les musulmans en Al-Andalus. C’est une architecture à la rencontre de l’Orient et de l’Occident, en quelque sorte une métaphore de notre processus artistique. En arabe, ça veut dire le palais, la citadelle.
Comment est né votre groupe ? J'ai cru comprendre qu'il avait été créé à cheval sur trois continents ?
J’ai lancé le groupe à l’époque où j’habitais à Los Angeles, avec l’aide d’un poète jordanien, Fareed Al-Madain. J’ai posé une petite dizaine de maquettes, ce qui m’a permis ensuite de recruter des musiciens basés en France et originaire de différents pays (Algérie, Maroc, Egypte). Je déménageais en France à ce moment là, donc j’avais besoin de musiciens locaux pour pouvoir commencer à construire le live.
Il y a t-il eu des critères de sélection concernant les musiciens qui vous accompagnent ?
Je cherchais bien sûr les meilleurs musiciens possible! Mais surtout, il me fallait des personnes dont la sensibilité artistique leur permettait de faire le grand écart entre musiques tradi du Moyen-Orient et garage rock. L’exemple parfait, c’est Mehdi Haddab, un oudiste franco-algérien qui a développé le oud électrique et qui en a fait un instrument en tant que tel. Mehdi est capable d’aller donner un récital à l’Institut du Monde Arabe et le lendemain d’être en session avec Damon Albarn.
Pourquoi cette envie de mélanger musiques d'Orient et d'Occident ?
Il y a une dizaine d’années, j’ai plongé dans toute la pop psyché qui sortait au Moyen Orient, en Turquie et en Iran dans les années 1960-1970. C’était une vraie claque d’entendre des productions pop rock (en mode top 40 de l’époque), mais avec du oud, du baglama, des percus orientales… Et du chant en arabe, turc ou farsi. Je suis tombé amoureux.
Quelles sont les influences majeures du groupe ?
La pop psyché orientale a servi de point de départ. Ensuite, j’y ai ajouté mon bagage culturel et artistique, à savoir du surf, du garage, du psyché… Les musiciens qui ont rejoint le groupe ont tous ajouté une petite touche perso, que ce soit Amar Chaoui (Tinariwen), tueur des percus orientales, ou bien notre chanteur Jaouad El Garouge, qui est marocain gnawa et qui amène donc cet élément de transe percussive.
Il y a beaucoup de percussions dans votre musique, est-ce que vous recherchez la transe ? Hypnotiser l'auditeur ?
Absolument. C’est là que mon bagage psyché rejoint la transe mystique gnawa de Jaouad. J’ai toujours été adepte des percus acoustiques, quel que soit le type de production sur laquelle je travaille, de l’électro au métal. Ca amène un groove et une chaleur humaine. On a enregistré une partie de l’album au Caire, ou cour d’une collaboration avec des musiciens de “zar” local. Le zar, comme le gnaoua, est une pratique mystique pour entrer en communication avec ses esprits via la transe percussive. Ca peut expliquer pourquoi l’album regorge de grooves percussifs.
Comment naît un titre d'Al-Qasar ? C'est d'abord le texte ou d'abord le riff ?
Je pose quelques riffs que je laisse mûrir un certain temps. Puis j’essaie d’épaissir un peu l’arrangement, jusqu’au jour où je commence à percevoir une mélodie pour la voix. A ce stade, j’envoie la track à Jaouad ou a Fareed pour réfléchir les paroles. Puis on pose la voix maquette, tout en modifiant le texte et surtout les phrasés pour que ça serve aussi bien le groove que la patate générale du morceau.
Dans vos textes vous parlez de l'oppression, du chaos social mais aussi de passions. Est-ce vous avez un message à délivrer à travers votre musique ?
Le groupe Al-Qasar, c’est un miroir de la société d’aujourd’hui : multi-nationalités, multi-racial, multi-lingue, multi-générationnel, multi-culturel… Si tu prends le cercle étendu de musiciens qui participent au projet, on arrive a un total de six nationalités (Maroc, Algérie, France, Etats-Unis, Jordanie et Egypte). Naturellement, ça nous pousse à adopter plusieurs valeurs phares qui reviennent sans cesse dans nos morceaux : la tolérance, la lutte contre l’injustice, la défense de l’égalité.
Pourquoi avoir choisi le titre de The Arabian Fuzz pour votre nouvel EP ?
Le EP s’appelle Miraj. Dans l'Islam, c'est l’ascension, soit le voyage spirituel, le trip initiatique du prophète vers la sagesse et la connaissance. Mais c’est aussi le mirage dans le désert, un concept qui fonctionne bien avec nos sons psyché et nos textes à la fois très suggestifs et qui tentent de proposer une société plus juste… On aimait également l’idée d’un mot qu’on pouvait comprendre aussi bien en arabe qu’en anglais et en français.
Comment vous avez sélectionné les titres composant cet EP ?
Parmi toutes les maquettes, j’ai sélectionné les morceaux que je trouvais les plus aboutis et qui me semblaient bien fonctionner ensemble.
The Arabian Fuzz est une continuité de vos précédents titres selon vous, ou une rupture ?
C’est notre premier E.P., et il contient un des singles qu’on a sorti au tout début du groupe, en 2018, donc continuité.
Votre meilleur concert ?
Juin 2018 dans le vieux Caire Islamique, à un festival en extérieur devant 6500 personnes. Les kids reprennaient les paroles en coeur, c’était fou.
Le pire ?
La flopée de dates annulées à cause du Corona! Sinon, je peux parler d’une date légendaire à Alexandrie, qui était fantastique pour nous musiciens, mais au cours de laquelle notre ingé-son se prenait des coups de jus en permanence à la console. Il a vécu un enfer, au final il manipulait la console avec un stylo bic.
Le dernier artiste qui vous a mis une claque sur album ?
The Afrosound. Clairement pas contemporain, mais c’est la baffe la plus récente que je me suis prise. Une sorte de “supergroup” colombien qui a décidé de capitaliser sur le succès de la chicha (cumbia psychédélique) au Pérou à la fin des années 1960. Je conseille les albums “Calor” et “La Danza De Los Mirlos”.
Un scoop pour Rockfanch ?
J’ai quelques armes secrètes en préparation pour nous aider à garder le groove en période de confinement… Ca devrait se lancer ce samedi 21 mars! Plus d’infos sous peu.